Le 13 octobre à Saint-Cloud, la maison Le Floc’h proposera aux enchères une scène de maternité de Lê Thi Luu, la première femme artiste vietnamienne à rejoindre l’École d’Hanoï dans les années 1920. Cette encre et gouache sur soie, intitulée Femme et enfant et datée de 1949, est estimée entre 40 000 et 60 000 euros.
Première femme admise à l’École des Beaux-Arts d’Indochine à Hanoï, Lê Thi Luu (1911-1988) s’est imposée dans un milieu majoritairement masculin et a marqué l’art vietnamien du XXe siècle par ses représentations intimes de la femme et de la famille. Ses œuvres empreintes de douceur, trouvent aujourd’hui un nouvel écho sur le marché de l’art. L’une de ses œuvres, Femme et enfant, sera proposée à la vente par la maison Le Floc’h le 13 octobre à Saint-Cloud.
De Hanoï à Paris, un parcours artistique unique
Née en 1911, Lê Thi Luu rejoint à seulement 15 ans l’École d’Hanoï, où elle est formée sous l’égide des peintres français Victor Tardieu et Joseph Inguimberty. Elle achève brillamment son cursus en 1932, se distinguant comme major de sa promotion. Sa carrière débute véritablement à l’occasion de l’Exposition coloniale de Paris de 1931, aux côtés d’autres figures majeures de l’École d’Hanoï comme Lê Phổ, Mai-Thu et Vu Cao Dam. Après avoir enseigné le dessin quelques années au Vietnam, elle s’installe définitivement en France en 1937 suite à l’Exposition Universelle de Paris. Dans le sud de la France, où elle a résidé de nombreuses années, elle produit des peintures qu’elle vend dans son entourage. « Comme Mai-Thu ou Lê Phổ, Lê Thi Luu n’avait pas de galerie attitrée », précise Aurélie Vassaux, commissaire-priseur au sein de la maison Le Floc’h, soulignant le rôle de ses relations familiales dans la diffusion de son travail. Avec le temps, c’est son fils Duc, architecte, qui s’est occupé de la gestion de ce patrimoine artistique.
Son parcours est remarquable. À une époque où le patriarcat confucéen limitait les droits des femmes, Lê Thi Luu est parvenue à se faire une place dans le monde de l’art, défiant les conventions sociales d’alors. Ses œuvres sur soie témoignent d’une maîtrise technique mêlant à l’héritage vietnamien un langage emprunté à l’art moderne européen. Femme et enfant incarne parfaitement cette approche stylistique. Exécutée à l’encre et à la gouache sur soie, elle illustre la sensibilité avec laquelle Lê Thi Luu parvient à traduire le rapport intime d’une mère avec son enfant, thème récurrent de son œuvre. Les scènes de maternité figurent parmi les plus recherchées de ses compositions. A la fin des années 40, période de réalisation de cette œuvre, Lê Thi Luu n’a pas encore affirmé pleinement son style. « Sa touche très étirée et ses visages rappelant ceux de Lê Phổ sont un rare témoignage de ses premières œuvres qui se différencient de ses portraits des années 70 aux visages plus occidentaux. »
Un engouement croissant sur le marché de l’art
Bien que sa production ait été relativement prolifique, avec près de 300 tableaux recensés, les œuvres de Lê Thi Luu apparaissent assez rarement en vente publique. Un grand nombre de ses œuvres ont été léguées par la famille à des musées vietnamiens, comme le musée des Beaux-Arts de Hô-Chi-Minh-Ville, à la suite de son décès en 1988. D’autres sont conservées dans des collections privées en Asie et en Europe, ou n’ont pas résisté au temps du fait de leur médium fragile, la soie.
Les œuvres de Lê Thi Luu se vendent majoritairement en France, où elles apparaissent ponctuellement dans des ventes. C’est une artiste qui rencontre un regain de popularité ces dernières années. En 2022, une rétrospective de ses œuvres a eu lieu au musée des Beaux-Arts de Hô Chi Minh-Ville, marquant une première étape dans la reconnaissance de l’artiste au Vietnam, encore très peu connue dans son pays d’origine. Ce regain d’intérêt a eu un impact direct sur les ventes de ses œuvres sur le marché des enchères. En juin 2022, La cueillette du thé, une aquarelle sur soie acquise en 1971 et estimée entre 250 000 et 300 000 euros, a été adjugée 437 440 euros (frais inclus). Plus récemment, en mai dernier, Enfants jouant au sable, une aquarelle réalisée en 1947, a été adjugée 331 250 euros, pulvérisant ainsi son estimation initiale de 40 000 à 60 000 euros. Femme et enfant, la gouache sur soie proposée par la maison Le Floc’h le 13 octobre prochain, présente une estimation identique. « C’est une œuvre que Guillaume Le Floc’h avait déjà vu il y a dix ans lors d’une succession, détaille Aurélie Vassaux. L’estimation donnée au tableau pour cette vente date donc de cette période et il est probable que l’adjudication finale soit plus élevée au regard de l’engouement des dernières années pour les artistes de l’École d’Hanoï ». (© Magazine des enchères, 4 octobre 2024)
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